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Le médecin conseil d’une assurance ne peut pas communiquer à l’expert judiciaire un document médical couvert par le secret sans l’accord exprès de la victime
(Cour de cassation, chambre criminelle, 16 mars 2021, n°20-80125)
Un individu est victime d’un accident de la circulation impliquant un poids-lourd et fait l’objet d’une expertise médicale amiable organisée par son assurance. Le rapport qui en découle est transmis à la victime et son assureur, ainsi qu’à l’assureur du chauffeur du camion, en l’espèce Axa.
Se détournant de la voie amiable, la victime assigne la compagnie d’assurance devant le juge des référés, qui ordonne une expertise, précision faite à l’ordonnance désignant l’expert que « devaient être écartées du débat toutes pièces médicales détenues par un tiers et notamment la compagnie d’assurance AXA, sans l’accord exprès » de la victime.
Au cours de la réunion d’expertise, le médecin conseil de la compagnie d’assurance communique pourtant à l’Expert judiciaire le rapport des opérations amiables, sans avoir sollicité l’accord de la victime de l’accident, qui oppose son véto à la remise. Le médecin conseil reprend alors le rapport sans qu’il n’ait été consulté. L’expert judiciaire précisera dans un courrier qu’« il n’en avait pas tenu compte et ne l’avait mentionné à aucun moment dans l’expertise ».
C’est dans ce contexte que la victime fait citer le médecin conseil devant le Tribunal correctionnel pour violation du secret professionnel.
Après avoir été déclaré coupable en première instance, le médecin conseil est relaxé en appel et la partie civile déboutée.
La Cour d’appel rappelle que l’expert judiciaire avait pour mission « de se faire communiquer par le demandeur ou son représentant légal ou par un tiers avec l’accord de l’intéressé ou de ses ayants-droits, tous documents utiles à sa mission ».
La juridiction estime que l’assureur peut remettre à son médecin conseil le rapport d’expertise amiable, que ce dernier peut l’apporter aux réunions d’expertise « dans la mesure où Mme O… intervenait en sa qualité de médecin-conseil » de la compagnie d’assurance ; que l’infraction est d’autant moins caractérisée que le rapport n’a pas été consulté par l’Expert judiciaire, eu égard à l’opposition de la victime. Enfin, le médecin conseil, tiers à l’instance en référé, ne peut être considéré exactement informé de l’intégralité de la mission de l’expert, notamment des mentions relatives à la communication des pièces médicales détenues par un tiers et la compagnie d’assurance.
La victime se pourvoit en cassation, le pourvoi se limitant aux intérêts civils.
Le médecin conseil d’une assurance peut-il communiquer à l’expert judiciaire un document médical couvert par le secret sans l’accord exprès de la victime ?
L’expertise médicale est un acte technique, par lequel un professionnel du domaine concerné va constater et décrire la situation, procéder à l’évaluation médico-légal du dommage, se prononcer sur des éléments factuels et des aspects techniques. C’est une étape quasi-nécessaire du processus d’indemnisation du dommage corporel des victimes car le code de procédure civile met à la charge des parties l’allégation et la preuve des « faits nécessaires au succès de leurs prétentions » (articles 6 et 9).
Dans cette affaire, l’enchevêtrement de deux expertises, l’une judiciaire et l’autre amiable, soulève la question du respect du secret médical dans le cadre des expertises.
L’expertise dite « amiable » est diligentée à l’initiative d’une ou plusieurs parties, en dehors des règles du code de procédure civile. Elle est très couramment menée à l’initiative des assurances en cas d’accident de la circulation.
Dans le cadre amiable, les parties ou leurs assureurs fixent la mission et choisissent leur expert, qu’ils rémunèrent.
L’expert amiable ne représente que les intérêts de son mandant, ce qui limite la valeur probante de ses appréciations, son objectivité posant toujours question. Le rapport d’expertise peut néanmoins constituer un commencement de preuve, à condition qu’il soit corroboré par d’autres éléments complémentaires (Cass, Civ, 5 mars 2020, n°19-13509), et ce, quand bien même l’expert amiable aurait pris le soin de respecter le principe du contradictoire (Cass, Civ 3, 14 mai 2020, n°19-16.278 19-16.279).
En l’espèce, une première expertise amiable, à l’initiative de l’assurance de la victime, aboutit à un rapport connu de la victime ainsi que des deux assureurs. La victime opte finalement pour la voie contentieuse et obtient du juge des référés une ordonnance de désignation d’un expert judiciaire.
L’expertise judiciaire (i.e. ordonnée par une juridiction) présente des garanties plus rigoureuses.
L’expertise est encadrée par les articles 263 et suivants du code de procédure civile, qui fixent notamment les modalités de désignation de l’expert, la fixation et le règlement de sa rémunération, les délais ou encore les modalités de convocation des parties.
L’expert, inscrit auprès de la Cour d’Appel territorialement compétente, est désigné par le juge en raison de ses connaissances techniques. Il est rémunéré sur la base d’une consignation à la charge temporaire de la partie qui sollicite les opérations d’expertise, finalement supportée par la partie succombant.
L’expert judiciaire ne rend compte qu’à la juridiction et doit systématiquement respecter le principe du contradictoire (article 276 du code de procédure civile).
En l’espèce, c’est à l’expert judiciaire que le médecin conseil destine la communication du rapport d’expertise amiable en se dispensant d’autorisation. Ce faisant, viole-t-il le secret médical ?
L’obligation de secret médical est un droit pour le malade qui « s’impose aux médecins comme un devoir de leur état. Elle est générale et absolue et il n’appartient à personne de les en affranchir » (Cass crim 8 mai 1947 arrêt Degraene).
Aux termes de l’article L 1110-4 du Code de la Santé Publique, le secret concerne tous les professionnels de santé (chirurgien-dentiste, kinésithérapeute, orthophoniste, infirmier, sage-femme, laboratoire d’analyse médicale, médecins libéraux ou salariés, médecins conseils d’une compagnie d’assurance, du service public hospitalier ou professionnels radiés de l’Ordre …).
L’article 226-13 du Code pénal, fondement de la prévention en l’espèce, réprime pénalement « la révélation d’une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire soit par état ou par profession, soit en raison d’une fonction ou d’une mission temporaire », et la jurisprudence d’ajouter que l’infraction est constituée dès la révélation ne serait qu’à une seule personne, et même si elle est également tenue au secret professionnel (Cass. Crim. 21 nov. 1874, Crim. 16 mai 2000).
Les juges conçoivent largement le secret médical qui favorise la confiance entre le patient et le médecin : il couvre tous les renseignements d’ordre médical (l’état de santé du malade, les examens subis, le diagnostic, les actes entrepris, etc.), « l’ensemble des informations concernant la personne venues à la connaissance du professionnel de santé » (art. L 1110-4 du Code de la Santé Publique) « c’est-à-dire non seulement ce qui lui a été confié, mais aussi ce qu’il a vu, entendu ou compris » (art. R.4227-4 du Code de la santé publique, art. 4 du Code de déontologie médicale, Cass. Crim. 17 mai 1973).
Le secret est opposable aux juges civils ainsi qu’aux experts judiciaires.
Toutefois il peut être de l’intérêt du patient que les débats incluent certains documents médicaux le concernant. En ce cas, il peut décider expressément de lever le secret médical. La jurisprudence juge que le patient est le maître des informations qu’il choisit de révéler, ou non.
En l’espèce, la motivation de l’ordonnance de référé ayant désigné l’expert judiciaire spécifiait que « devaient être écartées des débats toutes pièces médicales détenues par un tiers et notamment la compagnie d’assurance Axa, sans l’accord exprès de M.F. ».
Or le médecin conseil, sans autorisation, introduit aux débats le rapport d’expertise amiable que lui avait remis l’assureur. Si le document est simplement écarté des débats civils, sur le plan pénal, la victime et les juges du premier degré estiment constitué la violation du secret, au contraire des juges du second degré.
Au visa de l’article 226-13 du Code pénal, la Cour de cassation censure le raisonnement de la Cour d’appel qui a prononcé la relaxe « alors qu’elle avait relevé que Mme O avait remis volontairement à l’expert judiciaire un document médical, couvert par le secret, concernant Monsieur F, document qu’elle détenait en qualité de médecin conseil de la société Axa, sans avoir obtenu l’autorisation préalable de l’intéressé, faits susceptibles d’ouvrir droit à la réparation des préjudices de la victime ».
La Cour réaffirme l’importance du respect du secret professionnel, qui ne peut être levé qu’avec l’accord du patient. Le médecin conseil d’une assurance viole le secret médical lorsqu’il se passe de cette autorisation préalable pour communiquer des informations couvertes par le secret, quand bien même la détention de ces informations par le médecin conseil serait licite, et leur communication inopérante.
La relaxe étant définitive, les parties sont renvoyées devant les juges d’appel qui devront se prononcer sur l’existence d’une faute civile ouvrant droit à réparation.