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France Inter – Lundi 22 avril 2019 Premières procédures judiciaires pour l’Androcur
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Extraits du site Internet de France Inter
Y-a-t-il eu défaut d’information sur les risques encourus ? Prescrit depuis des années, le médicament Androcur pris à fortes doses peut donner des méningiomes, tumeurs bénignes du cerveau. Beaucoup de femmes n’en ont pas été averties, trois d’entre elles viennent de porter plainte.
D’abord prescrit pour combattre une pilosité excessive, le médicament Androcur a également été donné à des femmes souffrant d’endométriose ou d’acné, parfois à forte dose et pendant des années. On sait depuis 2008 que ce médicament peut donner des méningiomes, des tumeurs bénignes du cerveau. Mais la plupart des patientes l’ignoraient et ne l’ont appris que ces derniers mois. C’est l’objet de la plainte que viennent de déposer trois victimes. D’autres dossiers vont suivre.
Marie, 45 ans, est l’une des trois plaignantes. Au printemps 2016, sa vie bascule. Elle souffre de maux de tête, de vertiges, de problèmes moteurs qui ne cessent de s’amplifier. Elle met d’abord cela sur le compte de la fatigue, et puis en septembre, elle finit par consulter. À l’IRM, on lui trouve plusieurs méningiomes, dont un large de 6 cm. Il faut aussitôt opérer. Une trépanation, pour enlever derrière son œil une tumeur grosse comme une clémentine. Elle en garde aujourd’hui des séquelles, des maux de tête récurrents notamment. À ce jour, elle n’a toujours pas pu reprendre le travail normalement. Sa vie en a été durablement bouleversée.
Marie ne fait le rapprochement avec l’Androcur qu’en septembre dernier, c’est-à-dire deux ans après la découverte de ses méningiomes, quand d’autres femmes témoignent et donnent l’alerte. Marie a pris de l’Androcur pendant dix ans, de 2006 à 2016. C’était son contraceptif, elle n’a jamais été informée du risque :
Androcur, pour moi, c’était juste une pilule, on ne m’a jamais dit que ça pouvait donner des tumeurs au cerveau, je faisais confiance à mon gynéco, ça faisait plus de dix ans qu’il me suivait.
En 2016 pourtant, quand il opère son méningiome, le neurochirurgien dit aussitôt à Marie d’arrêter l’Androcur. Cela signifie qu’il savait. Car depuis 2008, le risque était connu : un médecin, Sébastien Froelich, avait donné l’alerte à l’époque. À partir de 2011, la notice du médicament a d’ailleurs fait mention de cas de méningiomes. Mais le message est resté trop confidentiel, les patientes n’ont pas eu l’information, ce n’est que fin 2018 qu’une étude approfondie a mesuré le risque (très fort si les doses sont élevées et prescrites sur plusieurs années) et que l’agence du médicament a recommandé de limiter les indications et de surveiller les patientes par IRM. Maître Charles Joseph-Oudin, l’avocat de Marie accuse : Que de temps perdu !
La position du droit aujourd’hui est de dire que le patient doit être informé dès lors qu’il existe une suspicion de risque, même si ce risque n’est pas parfaitement mesuré. Donc, dès 2008, la suspicion justifiait des mesures concrètes d’information.
La même histoire que celle de Marie est arrivée à Emmanuelle. Elle préside aujourd’hui l’association de victimes. Emmanuelle a pris de l’Androcur pendant 14 ans, pour traiter son endométriose, jusqu’à ce qu’on lui trouve des tumeurs. C’était en 2017 :
J’ai été suivie par trois professeurs de gynécologie différents, on ne m’a jamais rien dit et ceux que j’ai interrogés me disent : ‘Oui, on le savait, mais on pensait que le risque était tellement faible que ce n’était pas la peine de le dire’ !
Le Lutéran et le Lutényl également sur la sellette
Il n’y a pas que l’Androcur : deux autres médicaments sont aujourd’hui sur la sellette. Il s’agit du Lutéran et du Lutényl, des progestatifs eux aussi, utilisés pour la pré-ménopause, en cas d’endométriose ou de troubles menstruels. Depuis deux mois, l’ANSM, l’agence du médicament, pointe un risque de méningiome là encore. Mais les femmes le savent-elles ? Et n’est-on pas en train de créer une deuxième affaire Androcur ? C’est la question que pose Élisa. Elle a pris du Lutényl pendant 14 ans et souffre aujourd’hui de plusieurs méningiomes :
Il faut avertir les femmes, qu’on leur fasse un examen, et qu’on arrête de prescrire sur longue durée. Très clairement, ce médicament n’était pas vital pour moi. Si j’avais su, je n’aurais pas fait le choix que j’ai fait.
L’avocat Charles Joseph-Oudin prépare d’autres plaintes pour l’Androcur. Il constitue également des dossiers en ce moment pour le Lutéran et le Lutényl.L’équipe
- Véronique Juliajournaliste