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Confirmation de la défectuosité de la Cordarone : retour sur l’arrêt de la Cour de cassation, première chambre civile du 29 mars 2023, n°22-11.039
Dans un arrêt du 29 mars 2023, la Cour de cassation a confirmé l’implication de l’Amiodarone, principe actif contenu dans la Cordarone, dans la survenue de fibroses pulmonaires graves, ainsi que la défectuosité de ce médicament, en raison de l’insuffisance d’informations dans la notice sur les risques et effets indésirables du médicament.
Un patient présentant une fibrillation auriculaire a été traité pendant cinq mois par un médicament prescrit dans le traitement et la prévention des troubles du rythmes cardiaques, la Cordarone, dont le principe actif est l’Amiodarone. Il a alors développé une hypoxie sévère et une pneumopathie interstitielle diffuse, avant de décéder d’une fibrose pulmonaire.
Les ayants-droits du défunt ont alors poursuivi le laboratoire commercialisant le médicament, sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux, ainsi que le médecin prescripteur du traitement, au titre de fautes dans la prise en charge du patient.
Par jugement du 28 novembre 2019, le Tribunal de grande instance de Nanterre retenait la responsabilité de la société productrice du médicament, considéré comme défectueux et responsable du décès du patient, et la condamnait à l’indemnisation des ayants-droits de la victime. En revanche, le tribunal déboutait les ayants-droits de leurs demandes à l’encontre du médecin prescripteur, écartant tout manquement dans la mise en place du traitement et le suivi du patient.
Les ayants-droits du défunt ont interjeté appel de cette décision en ce qu’elle écartait la responsabilité du médecin prescripteur.
Par arrêt du 25 novembre 2021, la Cour d’appel de Versailles infirmait le jugement en considérant que le médecin prescripteur avait manqué à son devoir d’information, à l’origine d’un préjudice d’impréparation et d’une perte de chance de survie de 50%, le condamnant ainsi in solidum avec le laboratoire producteur de la spécialité à l’indemnisation des préjudices du patient.
Le laboratoire a formé un pourvoi contre cet arrêt, selon le moyen, d’abord, que la Cour d’appel aurait, en retenant la défectuosité de son produit, violé l’article 1245-3 du Code civil, et au moyen, ensuite, que la Cour d’appel aurait, en retenant l’imputabilité du décès du patient au dit produit, inversé la charge de la preuve et privé sa décision de base légale au regard de l’article 1245-8 du Code civil.
La première chambre civile de la Cour de cassation, dans cet arrêt du 29 mars 2023, a rejeté le pourvoi, en toutes ses branches, et confirmé l’arrêt de la Cour d’appel de Versailles.
I – La défectuosité du produit caractérisée par l’insuffisance de l’information présente dans la notice
Dans un premier temps, le laboratoire soulève le moyen selon lequel le producteur d’un médicament n’aurait pas l’obligation de reproduire à l’identique dans la notice, destinée aux patients, le contenu du résumé des caractéristiques du produit (RCP), destiné aux prescripteurs.
Le laboratoire considère en effet que la notice remplissait son objet en laissant « apparaître des informations suffisamment précises en ce qui concerne tant les manifestations dont il convient de surveiller l’apparition que la marche à suivre en cas de survenue de ces symptômes […] peu important que les termes médicaux permettant de qualifier les symptômes en cause n’ait pas été utilisés », de sorte que le médicament offrait la sécurité à laquelle on pouvait légitimement s’attendre.
Le laboratoire ajoute que la Cour d’appel ne pouvait pas caractériser un défaut du produit sur le fondement d’une modification ultérieure de la notice, par ajout de précisions sur les risques et effets indésirables du médicament.
Il était donc demandé à la Cour de cassation de se prononcer sur le point de savoir si l’inadéquation de la notice (document destiné au patient) avec le résumé des caractéristiques du produit (document destiné au professionnel de santé) était de nature à caractériser sa défectuosité.
La Cour de cassation considère le moyen soulevé par le laboratoire comme non fondé, répondant ainsi par l’affirmative à la question qui lui était posée. La Cour de cassation estime en considérant que la Cour d’appel pouvait déduire de la comparaison du résumé des caractéristiques du produit (RCP) et de la notice que l’information disponible dans la notice était insuffisante et qu’en conséquence le médicament n’offrait pas la sécurité à laquelle on pouvait légitimement s’attendre, de sorte qu’il était défectueux.
En effet, le RCP mentionnait, au titre des effets indésirables d’ordre pulmonaires, des « cas de pneumopathie inertielles et alvéolaires diffuses et de bronchiolite oblitérante organisée pouvant évoluer en fibrose pulmonaire », tandis que la notice se contentait de mentionner des « problèmes respiratoires (essoufflement, fièvre, toux) ».
La Cour de cassation ajoute que l’insuffisance de l’information contenue dans la notice au regard de celle disponible dans le RCP était suffisante pour retenir la défectuosité du produit et qu’ainsi le motif tiré de la modification ultérieure de la notice, par ajout de précisions sur les risques et effets indésirables du médicament, était surabondant.
La Cour de cassation rappelle ainsi, au visa de l’article 1245-3 du Code civil, une solution déjà connue.
En effet, dans un arrêt de la première chambre civile du 22 novembre 2007 (Civ 1ère, 22 novembre 2007, n°06-14-174), la Cour de cassation avait déjà pu retenir une telle solution en considérant que le défaut du produit s’apprécie au regard de toutes les circonstances et notamment de sa présentation. En l’espèce, le risque d’effets indésirables avait été omis dans une plaquette d’information à destination du patient, alors qu’il était mentionné dans la notice à destination des médecins, de sorte que le produit ne présentait pas la sécurité à laquelle on pouvait légitimement s’attendre.
II – L’appréciation du lien de causalité et la charge de la preuve
Dans un deuxième temps, le producteur du médicament soulève le moyen selon lequel la preuve d’un lien de causalité exclusif entre le produit de santé, sa défectuosité et le dommage ne serait pas rapportée et que la Cour d’appel aurait procédé à un renversement de la charge de la preuve, privant sa décision de base légale au regard de l’article 1245-8 du Code civil et violant l’article 1353 du même code.
Le laboratoire considère, en effet, qu’il n’a pas été écarté que la Flécaïne ait joué un rôle causal dans le décès de la victime. Ce médicament, prescrit au patient après découverte de la fibrose pulmonaire et l’arrêt de la Cordarone, présenterait, selon le laboratoire, les mêmes risques pulmonaires que l’Amiodarone.
Le producteur de la spécialité litigieuse soulève que l’état de santé du patient s’était amélioré après l’arrêt du traitement par Amiodarone, avant de s’aggraver à nouveau après la prescription de Flécaïne, de sorte qu’il n’était pas prouvé que ce dernier produit n’avait pas joué un rôle causal dans le décès du patient.
L’auteur du pourvoi considère donc, au regard de la prescription de Flécaïne, que ne pouvait être établie l’imputabilité exclusive des dommages à l’Amiodarone.
Enfin, le laboratoire, dans la dernière branche du moyen, conteste la caractérisation d’un lien de causalité entre le décès et une éventuelle défectuosité du produit, compte tenu d’une absence d’alternative thérapeutique à la prescription d’amiodarone permettant au patient d’échapper au risque de fibrose pulmonaire.
Il convenait donc de s’interroger sur le point de savoir si, en considérant que la preuve du lien de causalité entre le défaut du produit et le dommage était apportée et qu’il n’était pas rapporté la preuve de l’implication d’un autre produit dans le dommage, la Cour d’appel avait renversé la charge de la preuve.
La Cour de cassation estime là encore le moyen soulevé par le laboratoire comme non fondé, en considérant que la Cour d’appel a pu retenir par motifs adoptés et propres l’existence d’un lien de causalité, sans inverser la charge de la preuve.
En effet, la Cour retient que la Cour d’appel a pu déduire, au regard du rapport d’expertise, le lien direct et certain entre le produit et le dommage et relever que l’arrêt de la Cordarone n’avait pas fait disparaître la fibrose pulmonaire.
La Cour d’appel avait encore pu retenir qu’aucun élément ne permettait de prouver que le patient avait continué à consommer de la Flécaïne, pas plus qu’il n’était prouvé que ce traitement avait été suivi sur plusieurs mois, et enfin que la dégradation de l’état de santé du patient ne saurait être interprété comme la preuve de l’imputabilité du décès à la Flécaïne.
La Cour considère donc que les juges du fond ont souverainement apprécié l’existence d’un lien de causalité entre le défaut du produit, le dommage et le lien de causalité, et souverainement écarté l’implication d’un autre produit de santé dans la survenue du dommage.
Cette solution n’est pas nouvelle. La Cour de cassation a en effet déjà pu énoncer, au visa de l’article 1245-8 du Code civil, que le demandeur doit prouver le dommage, le défaut et le lien de causalité, la preuve pouvant se faire par tout moyen et notamment par des présomptions graves, précises et concordantes (Civ 1ère, 21 octobre 2020, n°19-18.689).
Elle a aussi déjà pu énoncer que le lien de causalité est à l’appréciation souveraine des juges du fond (Civ 1ère, 12 novembre 2015, n°14-18.118).
La Cour de cassation fait ici une application stricte de l’article 1245-8 du Code civil, en considérant que, le demandeur ayant prouvé le dommage, le défaut et le lien de causalité, le droit à indemnisation lui était acquis, et que, les éléments à la disposition de la Cour d’appel ne lui permettant pas de retenir l’implication d’un autre produit de santé et qu’elle n’était pas tenue de procéder à des recherches complémentaires.
L’arrêt de Première chambre civile de la Cour de cassation du 29 mars 2023 rappelle des solutions anciennes, relatives tant à la caractérisation de la défectuosité d’un produit qu’à l’appréciation du lien de causalité et de la charge de la preuve en matière de produit défectueux.
Cette décision définitive vient confirmer l’implication de l’Amiodarone dans la survenue de fibroses pulmonaires graves ainsi que la défectuosité de la Cordarone en raison de l’insuffisance d’informations dans la notice sur les risques et effets indésirables du médicament.